Pourquoi un livre comme Terres Inhumaines ?
L’écriture de Terres inhumaines est une réponse à deux énervements qui m’irritent depuis les treize années que je travaille à la prise en soins de victimes de torture.
Le premier énervement est dû à l’enfermement d’êtres humains, hommes et femmes, dans l’expression «victimes de torture ». J’ai le sentiment que le recours à ce vocable est une tentative, pour les individus qui l’utilisent, de détacher « l’expérience » de ces hommes et femmes de l’espace du réel… d’en faire une sorte d’abstraction…
Le second énervement résulte de ce que j’entends trop souvent dire que le travail que nous faisons, à Parcours d’Exil, permet de rendre à nos patients leur humanité… Or jamais, quelles qu’aient été les épreuves qu’ils ont dû traverser, les hommes et les femmes que nous rencontrons n’ont perdu leur humanité. Les seuls qui l’aient reniée, abandonnée, sont leurs tortionnaires.
J’ai écrit ce livre tout d’abord pour le grand public, pour faire prendre conscience au lecteur de ce qu’est la torture, cette réalité trop souvent tue, et dont l’évocation suscite très généralement une réaction de « stupeur », « d’hébétude », comme si l’on préférait fuir… et nier son existence.
Il me semblait par ailleurs important de témoigner de mon expérience auprès de ceux de mes confrères et collègues d’autres disciplines qui sont susceptibles de s’y intéresser… et de se mobiliser.
Ils n’ont pas « choisi » l’exil !
Enfin, j’ai voulu adresser un message fort aux pouvoirs publics, leur dire que quelles que soient les mesures prises pour rendre plus difficile l’accès au droit d’asile et les conditions de vie en France des demandeurs d’asile, jamais ceux-ci ne renonceront à venir sur notre territoire.
Il s’agit pour eux d’une question de survie… et même la misère la plus noire en France vaut mieux pour eux que la terreur et les souffrances qu’ils ont enduré (et risquent encore) dans leur pays d’origine.
Ce qui m’a toujours marqué, et continue de le faire, c’est l’extraordinaire potentialité des patients, ce sont les ressources inimaginables dans lesquelles ils ont puisé pour survivre, venir en France, et jusqu’à nous… après avoir été soumis à une machine aussi écrasante que la torture.
Qu’ils soient adultes, enfants, enfants soldats…
Ce qui m’étonne encore aujourd’hui, c’est aussi la capacité de ces hommes et femmes ses enfants, soldats ou non mais toujours victimes, à accorder, malgré ce qu’ils ont enduré, de la confiance (aussi ténue soit-elle, dans les premiers temps) à ces inconnus que sont pour eux les intervenants de Parcours d’Exil. Au-delà de ces constats, les patients que je rencontre me démontrent chaque jour la chance que j’ai d’exercer le métier qui est le mien, l’honneur que j’ai de les rencontrer et de les connaître quelque peu.
www.parcours.asso.fr
Pierre Duterte, médecin, psychothérapeute et thérapeute familial est né à Tourcoing en 1953. En 1994 il s’engage comme médecin bénévole, puis en 1995 devient salarié et enfin médecin directeur d’un centre de soins pour victimes de torture. En 2001 il co-fonde l’association Parcours de Jeunes, puis ouvre en 2002 le Centre de Soins Parcours d’Exil. Il a été distingué « Généraliste d’Or » pour son activité professionnelle et ses engagements.