
Hier : tous les enfants devront écouter la lecture de la lettre de Guy Môquet à sa mère.
Aujourd’hui : tous les enfants devront prendre en charge la mémoire d’un enfant (français) victime de la Shoah.
Et demain ? Lèveront-ils le drapeau ? Devront-ils chanter-ils « Vois sur ton chemin, gamins oubliés égarés…? »
Nicolas Sarkozy a une drôle d’approche de la politique éducative. Il décide que les enfants, tous les enfants, feront ceci ou cela. C’est le fait du prince : des mesures normatives, sans aucune réflexion ni concertation. Ainsi, il décide de confier la mémoire d’enfants de la Shoah à des élèves de CM2 : des enfants de 10 ou 11 ans. Il fait cette annonce, qui concerne une question universelle, devant le Crif, qui représente les juifs « communautaires » . Ce faisant, il prend le risque de provoquer des effets de rejet, l’inverse de ce qu’il recherche.
Ensuite, il se place ouvertement sur le registre de l’émotion :
« Rien n’est plus émouvant pour un enfant que l’histoire d’un enfant de son âge, qui avait les mêmes jeux, les mêmes joies et les mêmes espérances que lui. »
Sait-il que les instituteurs parlent déjà du génocide des juifs à leurs élèves ? Certes, ils ne leur demandent pas de parrainer un mort. Ils se bornent à leur apprendre ce qui s’est passé il y a plus de soixante ans.
Avec tact, ils leur dévoilent l’horreur des horreurs: la solution finale. Ils font leur métier, ils font de l’histoire. Ils prennent, pour cela, le temps qu’il faut.
Nicolas Sarkozy, lui, bouge sans cesse, fait des coups, lance à la va-vite des pétards et des fusées. Au mieux, ceux-ci ne dureront que le temps d’une rentrée. Éditorial de Pascal Riché (Rue 89)
De toutes les réactions hostiles, négatives ou simplement réticentes à la proposition de Nicolas Sarkozy concernant les enfants et la Shoah, il en est une, remarquable par sa violence, qui sort du rang : celle de Simone Veil, ancienne déportée à l’âge de 16 ans, proche du Président et qui était assise à sa droite au dîner du Crif mardi soir.
Elle a jugé que la proposition de Nicolas Sarkozy était « inimaginable, dramatique, injuste ».
Sur L’Express.fr, l’ancienne ministre, dont le ralliement à Nicolas Sarkozy avait été un des temps forts de la campagne présidentielle, raconte que son sang « s’est glacé » en entendant le président de la République proposer que chaque élève de CM2 en France adopte un enfant victime de la Shoah.
« C’est inimaginable, insoutenable, dramatique et, surtout, injuste. On ne peut pas infliger cela à des petits de 10 ans ! On ne peut pas demander à un enfant de s’identifier à un enfant mort. Cette mémoire est beaucoup trop lourde à porter. Nous mêmes, anciens déportés, avons eu beaucoup de difficultés, après la guerre, à parler de ce que nous avions vécu, même avec nos proches. Et, aujourd’hui encore, nous essayons d’épargner nos enfants et nos petits-enfants. Par ailleurs, beaucoup d’enseignants parlent – très bien – de ces sujets à l’école. »
L’ancienne ministre redoute également que cette idée puisse attiser les antagonismes religieux en France :
« Comment réagira une famille très catholique ou musulmane quand on demandera à leur fils ou à leur fille d’incarner le souvenir d’un petit juif ? »
Cette réaction remarquable s’ajoute au concert de protestations qui a accompagné dans tous les milieux cette proposition surprise de Nicolas Sarkozy. Seules quelques voix se sont exprimées en faveur de la proposition présidentielle, parmi lesquelles celle de François Hollande, le premier secrétaire du PS, et celle de Marek Halter, qui l’a qualifiée d’« initiative formidable ».
La sortie de Simone Veil permet, surtout, de s’interroger, une nouvelle fois, sur la manière de procéder du chef de l’État : comment a-t-il pu lancer une telle idée sans consulter cette femme dont l’histoire personnelle et le positionnement politique en font l’interlocuteur idéal avant de lâcher en pâture à l’opinion une bombe pareille ? Sauf à considérer que les idées de ses conseillers de l’Elysée sont au-dessus de toute contestation.
Quoi qu’il en soit, le jugement sans appel de Simone Veil risque fort de peser suffisamment lourd pour condamner cette initiative présidentielle à finir dans la poubelle, déjà passablement remplie, des fausses bonnes idées de Nicolas Sarkozy.
Article de Pierre Haski Rue89
CE QU’ILS EN PENSENT :
– Le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) Richard Prasquier : « J’ai toujours dit que j’étais nuancé vis-à-vis de cette décision du président de la République », a-t-il souligné sur RTL. Elle « part d’une très très belle idée qui est de mettre en regard un enfant avec un autre enfant. Et on sait que pour influencer un enfant, il n’y a rien d’autre que les histoires d’enfants qui sont efficaces ». « En revanche, s’il s’agit d’en faire uniquement un projet de mémoire, là, j’ai des réticences, car il y a un risque dans la mémoire », elle « peut entraîner une responsabilité pour l’enfant, responsabilité injuste » et « trop lourde à porter », a observé Richard Prasquier. « C’est une très belle initiative mais sur laquelle il faut prendre (…) beaucoup de précautions ». Le président du CRIF a cependant estimé que c’était un « projet d’éducation » à la lutte contre l’antisémitisme, le racisme, et l’exclusion. « Je pense que c’est en réalité le fond du projet », a-t-il dit, notant que le « travail d’identification » pouvait s’effectuer « au niveau d’une classe » et « s’accompagner d’un travail d’histoire », de « réflexion ». Il s’agit « d’utiliser le passé pour l’avenir », a-t-il remarqué, jugeant qu’il fallait « faire confiance à l’Éducation nationale ». (1)
Sources : (1) Associated Press