◊ Les folies des finances françaises. Par André Sapir (Professeur à l’Université Libre de Bruxelles). [22 Juin 2007, Telos http://www.telos-eu.com/%5D
A en croire la Commission européenne, la France devrait battre un nouveau record en 2007. Pour la première fois, elle sera le pays européen ayant le plus haut niveau de dépenses publiques. Les économistes de la Commission estiment qu’elles atteindront cette année 53,2 % du PIB. Ce sera plus que dans tous les autres pays de l’UE 27, y compris les trois pays nordiques : la Finlande (47,7 %), le Danemark (50,1 %) et la Suède (53,0 %). En revanche, bien que les prélèvements publics représentent une part très importante du PIB français (50,7 %), cette proportion restera plus faible en France que dans les pays nordiques : ils atteignent 51,3 % du PIB en Finlande, 53,8 % au Danemark et 55,2 % en Suède. En conséquence, alors que ces pays enregistreront des excédents budgétaires variant grossièrement entre 2 et 4 % du PIB, la France aura un déficit de 2,5 %, le deuxième en valeur de la zone euro après celui du Portugal.
On ne s’étonnera donc pas si Joaquin Almunia, le commissaire européen chargé des affaires économiques et monétaires, a exprimé son inquiétude quant aux projets budgétaires du nouveau gouvernement français, qui compte (au moins au départ) réduire les prélèvements sans tailler autant dans les dépenses publiques, ce qui risque donc d’augmenter le déficit voir de dépasser le seuil de 3 % du Pacte de stabilité et de croissance.
Plus inquiétant encore est le fait que la France pourrait laisser filer son déficit cycliquement ajusté, bien au-dessus de la limite posée par le Pacte de stabilité et de croissance. Souvenons-nous en effet que, contrairement à ce qui est souvent supposé, la principale innovation du Pacte de stabilité et de croissance n’était pas la limite de 3 %, une obligation déjà présente dans le traité Maastricht, mais l’exigence de respecter « l’objectif à moyen terme de budgets à l’équilibre ou en excédent ».
Le Pacte de stabilité et de croissance adopté en 1997 ne donnait pas de chiffre pour l’objectif de moyen terme, et il ne précisait pas non plus de date. Par conséquent, la consolidation fiscale a calé aussitôt après l’adoption de la monnaie unique. En 1997, cinq des onze membres initiaux de la zone euro avaient des déficits réels près de 3 % : la France (3 %), l’Allemagne (2,6 %), l’Italie (2,7 %), le Portugal (3,4 %) et l’Espagne (3,3 %). Cette condition n’était pas tellement le résultat de facteurs cycliques, mais structurels, comme le montraient les chiffres des déficits cycliquement ajustés : 2,1% pour la France, 2,2 % pour l’Allemagne, 2,5 % pour l’Italie, 3,2 % pour le Portugal et 2,3 % pour l’Espagne.
Le respect du Pacte de stabilité et de croissance aurait exigé de ces cinq pays une sérieuse consolidation fiscale après 1998. En réalité, à l’exception de l’Espagne, presque aucun progrès n’a été accompli, ni dans ces pays ni en Grèce, qui a rejoint la zone euro en 2001. Le déficit cycliquement réglé de l’ensemble de la zone euro (dont les cinq pays délinquants représentent 70 % du PIB) est resté d’environ 2 % tout au long de la période 1998-2005.
Cette situation a finalement causé la crise du Pacte de stabilité et de croissance en 2003 et 2004, et sa révision en 2005. Une des innovations du nouveau Pacte de stabilité et de croissance était la formulation d’objectifs de moyen terme (OMT) propres à chaque pays, prenant en compte l’impact du cycle économique sur le cycle budgétaire, avec des valeurs allant d’un excédent de 2 % en Finlande et en Suède à un déficit de 1 % pour certains nouveaux Etats membres. L’OMT a été placé à zéro pour 10 pays dont France, l’Allemagne et l’Italie.
Ce nouveau cadre semble fonctionner. Le déficit ainsi ajusté de la zone euro a reculé brusquement en 2006. On s’attend à ce que les progrès continuent en 2007. Pourtant, en y regardant de plus près, on se rend compte d’un écart entre, d’une part l’Allemagne et la France, mais aussi la Grèce, le Portugal et dans une mesure moindre l’Italie, et d’autre part le reste des pays européens.
Aujourd’hui, les débats français portent sur l’opportunité de suivre l’exemple allemand en créant une « TVA sociale », consistant à financer une réduction des charges sociales par l’augmentation du taux de TVA, dans le but de gagner quelques points de compétitivité. Le gouvernement français devrait pourtant savoir que ses finances publiques diffèrent de celles de l’Allemagne sur trois points importants. Tout d’abord, la TVA française est déjà à 19,6 %, un chiffre plus élevé que le taux allemand même après qu’il a été augmenté de 3 points. Deuxièmement, la part des dépenses publiques dans le PIB sera en France de presque 9 points supérieure à l’Allemagne cette année. Troisièmement, le gouvernement allemand s’est pleinement engagé à faire revenir le déficit structurel à zéro d’ici à 2010. Vers la fin de cette année, son déficit structurel sera déjà à moins de 1 % du PIB. Par contraste, en France le déficit cycliquement ajusté sera toujours de 2 % et il pourrait même augmenter l’an prochain, compromettant ainsi l’engagement de principe pris par le gouvernement français d’atteindre l’objectif de moyen terme en 2010.
Le commissaire Almunia a raison de pousser la France à tenir son engagement par rapport au Pacte de stabilité et de croissance. C’est la seule façon de réduire la dette publique et d’imposer une réduction ou au moins une restructuration des dépenses publiques, deux conditions nécessaires à la croissance et de garantir les finances publiques.
◊ RTL, La Semaine Politique. [02 Juin 2007]
Serge July : « Le choix radical fait par le candidat Sarkozy, et qu’il est aujourd’hui en train de mettre en œuvre, suscite un débat parmi les économistes, y compris au sein des instances de l’UMP en charge des questions économiques. Nicolas Sarkozy a choisi de pratiquer une baisse massive de la fiscalité. Je rappelle : exonération des cotisations fiscales et sociales sur les heures supplémentaires, suppression des droits de succession, le bouclier fiscal, l’abrogation de fait de l’ISF et la large déduction des intérêts d’emprunts immobiliers. […] Ces baisses sont destinées à priori à augmenter la demande, la consommation. […] Il y a débat parce que tout le monde s’accorde pour dire que la croissance s’étirait en France depuis 1999 par la consommation, et que celle-ci n’est pas en train de fléchir. En termes de diagnostique, c’est étrange, puisque ce n’est pas le problème principal français. Par ailleurs, ces mesures sont toutes très coûteuses pour les finances publiques. On considère en année pleine environ 10 milliards d’euros. Et l’effet produit risque non seulement d’être marginal, mais lourd de conséquence en ce qui concerne la dette. […] Pour résumer, il ne met pas l’argent où il faudrait le mettre. Il faut aussi redouter les effets pervers de cette redistribution aux couches favorisées de la population. »
◊ Consensus des économistes ? Par Philippe Askenazy. (Economiste, chargé de recherche au CNRS). [26 Avril 2007]
icolas Sarkozy vient de citer l’institut Rexecode et « le nobélisable français Olivier Blanchard » pour conclure sur France 2 qu’il y a « consensus chez les économistes que son programme est le meilleur ».
appelons tout de même, ce qui n’enlève rien au sérieux de cette institution, que Rexecode est proche du patronat français et avait considéré en 1997 que les 35 heures feraient perdre des emplois alors que l’on sait qu’elles ont in fine créé 350000 emplois. Rappelons également que l’OFCE, autre institution de référence, fait un diagnostic inverse en faveur du programme de Ségolène Royal.
livier Blanchard (qui soutenait Lionel Jospin en 2002), un des plus grands économistes français et professeur au MIT, a effectivement apporté son soutien d’expert au projet de Sarkozy. Mais peut-on vraiment parler de consensus. Ainsi Daniel Cohen, professeur à l’Ecole Normale Supérieure, son co-auteur à la fois d’articles de recherche et d’un des manuels d’économie les plus vendus au monde, apporte, lui, son soutien à Royal. Cohen est peut-être un mauvais exemple car faisant partie des élites parisiennes que Sarkozy a vilipendées quelques minutes avant sur France 2. Alors allons de l’autre côté de l’Atlantique. Thomas Philippon, un des meilleurs anciens thésards de Blanchard, professeur à New York University soutient la candidate socialiste. Philippe Aghion, autre nobélisable français, professeur à Harvard, est tellement convaincu que Royal est porteuse d’un projet pour la croissance française qu’il s’est même exprimé publiquement lors de la conférence de presse présentant le Parcours Première Chance.
◊ Les jeunes économistes pour Ségolène. Par Christophe Alix. [13 Mars 2007, Libération]
Les jeunes économistes disent oui à Ségolène Royal. Réunis jeudi soir l’école normale supérieure de Paris à l’initiative du mécène Pierre Bergé une brochette d’économistes français sont venus dire, non sans esprit critique, tout le bien qu’ils pensaient du programme économique de la candidate socialiste et de sa capacité à ranimer la croissance en France
Issus pour la plupart de la toute nouvelle école d’économie de Paris inaugurée il y a deux semaines par le premier ministre Dominique de Villepin, ils se sont engagés en faveur d’une politique résolument réformiste mais ancrée à gauche c’est à dire loin d’une vision sarkozyenne qualifiée à de multiples reprises de «rétrograde», «incohérente» ou encore «dangereuse».
Seuls Thomas Piketty et Daniel Cohen, à l’origine de la PSE (Paris school of economy) étaient absents mais avaient envoyé des messages de soutien. Au final deux heures de débats très denses, souvent de haute volée pour dire que contrairement aux idées reçues et ce que dit la droite, la France n’est pas si figée, s’est déjà largement modernisé et adapté à la nouvelle donne internationale ces dernières années et que les marges de manoeuvre existent sans avoir besoin d’en passer par une réforme radicale à la manière d’un Nicolas Sarkozy.
Spécialiste de l’économie de la connaissance, Philippe Aghion qui enseigne à Harvard a d’abord insisté sur la nécessité de rattraper le retard de la France dans l’enseignement supérieur. «Dans l’économie de l’innovation, il faut moins mettre l’accent sur l’enseignement primaire ou secondaire que sur le supérieur» a-t-il expliqué avant d’ajouter que ce qui manquait le plus aux entreprises pour se développer n’était pas de nouvelles réductions de charges mais des possibilités d’accéder à un marché du crédit bancaire trop fermé.
« C’est un facteur très inhibant en France qui freine gravement l’investissement dans les entreprises innovantes» a-t-il dit. Il a martelé sans cesse la question du choix entre un modèle nordique, celui de la flexsécurité danoise et de relations sociales facilitées entre syndicats et patrons et le modèle anglo-saxon, celui d’une dérégulation du marché du travail qui d’après les participants est celui de Nicolas Sarkozy.
Tous les participants ont insisté sur la nécéssité de formations « plus qualifiantes » et « tout au long de la vie ». Un impératif d’autant plus indispensable que le marché du travail est en profonde mutation comme l’a expliqué Eric Heyer de l’OFCE, l’observatoire français des conjonctures économiques (1).
Brisant une idée reçue, Eric Heyer a démontré, chiffre à l’appui, que le manque d’activité en France était surtout le fait des séniors, incapables de se maintenir sur la marché du travail s’ils sont peu ou mal formés. « Le taux d’activité des 25-49 ans est un des plus hauts d’Europe, a-t-il expliqué, par contre les résultats sont très mauvais concernant les seniors et c’est là que doit porter l’effort. Il faut que les départs en retraite cessent d’être la variable d’ajustement des entreprises ».
Spécialiste du marché du travail, Philippe Askenazy a reçu une salve d’applaudissements lorsqu’il s’en est pris à la conception « très rétrograde » du travail selon Nicolas Sarkozy. « Sa vision est celle de la pénibilité, du labeur, le travail selon lui est fait pour souffrir » a-t-il déclaré en défendant le caractère plutôt souple des 35 heures.
Les participants ont également insisté sur le lien « pas évident » selon eux entre l’emploi et la rigidité du marché travail et dénoncé le fait que « c’était toujours les mêmes, soit environ un tiers des salariés qui passent de CDD en CDD à qui l’on demandait d’être flexibles ». L’occasion d’aborder la question du contrat unique, vantée par la droite et que la plupart des participants n’ont pas jugé « prioritaire » sans l’exclure pour autant. « Faire un contrat unique, ca veut dire faire un CNE pour tous, a expliqué Eric Heyer, toute la question est de savoir où l’on place le curseur de la période au cours de laquelle le contrat peut-être cassé sans contrepartie. A 24 mois, 12 mois, 6 mois ? Toute la difficulté est là ».
Avec Thomas Philippon, il fut enfin question de relations sociales et de la nécessité pour la France de réformer son pacte social comme le propose Ségolène Royal en poussant les partenaires sociaux à s’entendre et en faisant passer l’Etat au second plan, du rôle d’orchestrateur des relations sociales à celui, plus subtil, de facilitateur. « La France est 99ème sur 102 dans un récent classement, au même niveau que le Venezuela, a-t-il expliqué, il ne peut pas y avoir de croissance saine en France sans relations sociales renouvelées ».
L’Article sur Libération.fr
◊ Impossible promesse fiscale. Par Thomas Piketty (Ancien professeur au MIT, fondateur de l’Ecole d’Economie de Paris). [12 Février 2007, Libération]
Parmi les éléments les moins crédibles du programme de Nicolas Sarkozy la palme revient sans conteste à la promesse de réduire de 4 points de PI (produit intérieur brut) le taux de prélèvements obligatoires. Pour tous ceux qui n’ont pas la chance rare de patauger quotidiennement dans ce type de statistiques, l’objectif peut sembler abstrait et difficile à évaluer. Après tout, avec un taux global de prélèvements obligatoires en France d’environ 44 % du PIB (sous forme d’impôts, cotisations et diverses taxes), pourquoi ne serait-il pas possible d’envisager une réduction de 4 points ? Pour aider à se faire une idée et comprendre à quel point un tel objectif n’a aucune chance de se réaliser au cours de la prochaine législature, il est utile de rappeler quelques ordres de grandeur.
Quatre points de PIB, cela représente, par exemple, davantage que toutes les recettes cumulées de l’impôt sur le revenu, de l’impôt sur les successions et de l’impôt de solidarité sur la fortune. Si Sarkozy envisage de supprimer ces trois impôts d’un geste auguste, qu’il l’annonce ! A titre de comparaison, Chirac est parvenu en 2002-2007 à réduire de moins de 20 % l’impôt sur le revenu. Surtout, cette baisse a été plus que compensée par les multiples hausses de taxes et de cotisations, si bien que le taux global de prélèvements obligatoires, stabilisé autour de 42-44 points en France depuis 1985, a en réalité progressé de près de 1,5 point entre 2002 et 2007, en particulier quand l’actuel candidat UMP était en charge de Bercy… Car, pour réduire de 4 points de PIB les prélèvements tout en réduisant les déficits, il faudrait être capable de réduire de 4 points les dépenses publiques et indiquer précisément lesquelles.
Or, 4 points de PIB, cela représente, par exemple, quatre fois le budget de l’Enseignement supérieur et de la recherche, ou bien une réduction de plus de 50 % des dépenses de santé. Comment Sarkozy compte-t-il s’y prendre pour faire de telles économies ? A ce jour, les seules économies vaguement mentionnées concernent les habituels percepteurs et supposées gabegies de Bercy, gisement considérable… inférieur à 0,1 point de PIB, et qui vu la mollesse avec laquelle notre audacieux candidat évoque le prélèvement à la source a peu de chances d’être exploité. La vérité est que, compte tenu de la hausse structurelle des dépenses de santé et de retraites (qui ne pourront être stabilisées que par une régulation patiente, novatrice et courageuse), et compte tenu des nouveaux besoins (formation, recherche…), il n’est ni possible ni souhaitable de promettre des réductions de dépense aussi massives. Quant à l’idée absurde selon laquelle la croissance permettrait mécaniquement de réduire la part de l’Etat dans le PIB, elle révèle une étonnante incompréhension des mécanismes économiques élémentaires : sauf à supposer un fort décrochage des salaires du public (perspective peu souhaitable pour un Etat qui se veut efficace), l’Etat devra toujours consommer peu ou prou la même part du PIB pour offrir les mêmes services de santé, formation, retraites, etc. Si la croissance avait pour effet magique de réduire massivement le taux de prélèvements, cela se serait vu, en France comme à l’étranger.
De fait, la meilleure façon d’apprécier l’absence totale de crédibilité de la promesse sarkozienne est de jeter un coup d’oeil aux expériences internationales. La vérité toute simple est que jamais aucun pays développé n’a abaissé de 4 points son taux de prélèvements obligatoires. Au moment où la révolution thatcherienne a produit ses effets les plus forts, de 1985 à 1995, les prélèvements n’ont baissé au total que d’à peine 2 points de PIB au Royaume-Uni (avant que Blair ne les réaugmente de 2 points, retrouvant ainsi aujourd’hui le taux d’environ 37-38 points de 1985). Nicolas Sarkozy envisage-t-il de faire des coupes deux fois plus lourdes que Margaret Thatcher dans une période de temps deux fois plus courte ? Si l’on examine les autres pays, dont on vante habituellement l’expérience modernisatrice, on constate au mieux une stabilisation des prélèvements obligatoires, en aucun cas des baisses de 4 points de PIB : la Suède a stabilisé ses prélèvements autour de 50-52 points de PIB depuis 1990, le Danemark autour de 49-50 points, etc. En France, pas davantage que dans tous les autres pays, aucun gouvernement dans un avenir prévisible ne baissera de 4 points de PIB en quelques années.
En se lançant dans de telles promesses, sans même prendre la peine d’expliquer le début du commencement de la méthode envisagée (et pour cause), Nicolas Sarkozy révèle une fois encore sa vraie nature. Loin du parler vrai et de la transition douce du gaullisme vers le libéralisme social et moderne, le candidat UMP incarne une sorte de gaullo-bushisme autoritaire et populiste. Comme Bush, qui stigmatisait ceux qui osaient dénoncer les conséquences ultra-inégalitaires de ses baisses d’impôts («fuzzy Washington math»), il affiche son mépris pour les statistiques et les analyses qui le contredisent. Comme son modèle, sa foi messianique dans son intuition intime de ce que veut le « peuple » (en vérité quelques groupes de pression croisés ici et là) le rend capable de tous les excès.
L’Article sur Libération.fr