Samedi 26 avril, Pierre-Damien Kitenge, un agent de sécurité d’un supermarché de la proche banlieue parisienne a porté plainte contre un fonctionnaire du ministère de l’Immigration pour de graves insultes racistes, une accusation que l’intéressé a vigoureusement démentie vendredi en invoquant des témoignages en sa faveur.
Cette procédure pour « diffamation et injure à caractère racial » vise nommément Gautier Béranger, adjoint du secrétaire général du ministère de l’Immigration, en charge de la communication interne. Les peines encourues sont respectivement d’un an emprisonnement et 45.000 euros d’amende, et de 6 mois de prison et 22.500 euros d’amende.Au cabinet du ministre de l’Immigration, on se refuse à tout commentaire « tant que la plainte est à l’instruction« . Pour l’entourage du ministre, qui a eu connaissance de la version de M. Béranger, il s’agit d' »un différend d’ordre privé« . Gautier Béranger « n’appartient pas au cabinet du ministre » Brice Hortefeux, a-t-on faut valoir au demeurant, il « est un fonctionnaire des services administratifs« .
SOS Racisme a demandé, si les faits étaient avérés, le départ de M. Béranger dont le comportement serait « contraire à l’éthique de la fonction publique » tandis que le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap) propose la « suspension immédiate » du fonctionnaire le temps que « toute la lumière soit faite sur cette grave dérive« .
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Chronique du racisme au pays de Hortefeux et de l’Identité Nationale.
Interview de Pierre-Damien Kitenge agent de sécurité au magasin Carrefour de Bercy, par Mathieu Carbasse du site Actualités en temps réel (Nouvel Observateur).
Comment s’est passée l’altercation ?
C’était le samedi 26 avril aux environs de 13 heures. Je me trouve en arrière-caisse et un caissier fait appel à moi pour le contrôle d’un chèque comme à chaque fois qu’un client émet un chèque supérieur à 200 euros. Il s’agissait dans ce cas d’un paiement de 528 euros. Ces contrôles sont prévus par Carrefour pour s’assurer que les chèques ne sont pas impayés, et que les paiements sont bien assurés.
Je me retrouve donc entre le client et le caissier qui me remet le chèque ainsi que les papiers d’identité du client. Soudain, celui-ci s’emporte : « Qu’est-ce que c’est que cette histoire ! Vous n’avez pas le droit de toucher mes papiers. Je vous connais, vous, les noirs. Vous êtes tous des sans-papiers, des trafiquants de papiers. Retournez dans votre pays. Et ne touchez pas mes papiers. »
Il me dit également que pour 500 euros, il n’est pas nécessaire de faire un contrôle d’identité. Je ne pers pas mon sang-froid et lui explique que 500 euros, c’est presque la moitié de mon salaire et je lui demande de me laisser faire mon travail.
Alors qu’il me parle, il veut m’arracher par la force les papiers et le chèque que je tiens dans la main. Puis il sort une carte de visite sur laquelle on pouvait lire : Direction de cabinet, Ministère de l’Immigration et de l’Identité Nationale. Et le client de tenter de m’intimider : « Vous ne savez pas qui je suis. Mais vous allez voir, vous allez vous retrouver au chômage avec toute votre famille. Vous pouvez faire une croix sur votre carrière. »
Je finis alors par appeler mon responsable, qui me demande de me taire. Je peux lire la crainte dans ses yeux. Il est intimidé par l’identité du client qui lui tend une nouvelle carte de visite. Mon responsable me somme de partir, en m’expliquant qu’il va régler le problème.
Finalement, le client quitte le magasin sans que le contrôle du chèque ait été effectué.
De mon côté, face au manque de soutien de mon responsable hiérarchique, je décide de porter plainte pour injures à caractère racial et diffamation.
Quelle a été alors la réaction de votre employeur ? de Carrefour ?
Mon employeur [une société de sécurité, ndlr] m’a rapidement contacté pour que je retire ma plainte. Je lui ai répondu que je n’avais pas porté plainte au nom de Carrefour ou au nom de la société qui m’emploie mais en mon nom propre.
De leur côté, ils m’ont expliqué que le monsieur leur aurait présenté des excuses. Mais ce n’est pas auprès de mon directeur qu’il fallait qu’il s’excuse. Ce n’est pas lui qui a été insulté.
Et puis mon patron a essayé de me faire changer d’avis : « Je t’en prie Pierre, je ne cautionne pas [la plainte déposée, ndlr]. Nous sommes à Bercy, tu sais ce que cela représente (siège du Ministère de l’Economie) ».
Je lui ai expliqué que je ne retirerai ma plainte qu’à la condition que l’homme qui m’a insulté publiquement, s’excuse publiquement.
Avez-vous été surpris du manque de soutien de votre hiérarchie ?
Oui, ça m’a vraiment étonné, surtout quand je lis dans les journaux qu’ils n’ont jamais fait pression sur moi pour que je retire ma plainte. Mais le plus triste dans tout ça, c’est le manque de courage des gens qui ont assisté à la scène : tous les témoins qui avaient annoncé qu’ils allaient témoigné se sont aujourd’hui rétractés. A croire que le mammouth a toujours plus de poids qu’une petite fourmi. On ne s’attaque pas à un mammouth, comme on dit.
Source : Memorial 98 (03/05/08) I Le Point I Illustration © Cabu