Le Sarkopithèque

LE SARKOPITHÈQUE A POUR BUT D’ARCHIVER PUIS DE RECOUPER LES INFORMATIONS ET RÉFLEXIONS RELATIVES AU CHEF DE L’ÉTAT, À SON GOUVERNEMENT ET À LEURS [MÉ]FAITS. Nicolas Sarkozy a été élu Président de la République le 6 Mai 2007, jour de la Sainte-Prudence. Voyons-y un signe, et non un hasard.

Coincés dans un ascenseur avec Sarkozy 14.04.10

Illustration : Chappatte

Nils Minkmar, correspondant du Frankfurter Allgemeine Sonntagszeitung (relayé par Courrier International), pointe l’étrange paradoxe d’un homme qui maitrise les nouvelles technologies de communication et se sent menacé par le plus vieux média du monde, la rumeur.

Dans le cas des rumeurs, la célèbre expression de ­Marshall McLuhan semble particulièrement adaptée : “le médium, c’est le message”. Ironie de l’histoire des médias, Nicolas Sarkozy, ce maître de la télévision en couleur, ce virtuose de l’image électronique qui a fait transformer le site Internet de l’Elysée en un portail vidéo ­entièrement dédié à sa personne, se sent menacé par le plus vieux médium de France : la rumeur. Et il a réagi comme un seigneur des temps anciens qui enverrait ses chevaliers bardés de fer lutter contre une invasion de sauterelles.

C’est un cousin français, que l’on ne peut pas vraiment considérer comme bien informé, qui m’a transmis la rumeur. “Tout le monde” à Paris parlerait d’un adultère parallèle, m’a écrit mon cousin : le président tromperait son épouse avec sa secrétaire d’Etat à l’Environnement, et Carla Bruni, elle, le tromperait avec le chanteur Benjamin Biolay. Mon cousin m’a raconté cela en janvier. A l’époque, personne n’avait couché la rumeur sur papier. A quoi bon ? La rumeur se suffit à elle-même. On la veut toute chaude, livrée personnellement par le bouche à oreille. Le scandale, c’est comme la photo d’une part de tarte : propre, précise, mais bien loin du vrai plaisir. Quant à savoir si la rumeur est effectivement fondée, on finira bien par l’apprendre un de ces quatre. Lancée à pleine puissance, une rumeur parisienne a en tout cas des implications symboliques et politiques qui sont tout sauf inoffensives. Nombre de livres ont été publiés par des spécialistes de l’histoire culturelle comme Robert Darnton et Arlette Farge, qui montrent comment les rumeurs de la capitale ont pu saper la loyauté envers la monarchie longtemps avant la révolution française de 1789. A l’époque moderne, Giscard, en particulier, a souffert de l’histoire des diamants africains. La rumeur a fait basculer l’image que l’opinion publique avait de lui. Brutalement, il a semblé dépassé, son avenir était désormais derrière lui.

Le médium de la rumeur est surtout efficace dans le camp de la droite, où l’on aime les présidents inaccessibles, qui peuvent être admirés tandis qu’ils s’occupent de leurs affaires tout en haut, au sommet de l’Etat, en laissant tranquilles leurs concitoyens. Lesquels ont déjà bien assez d’ennuis comme ça – pas la peine de partager en plus ceux du chef de l’Etat. Quand on s’entretient ces temps-ci avec des policiers et des commerçants en province, ils secouent la tête dès que le nom de Sarkozy est mentionné. Que l’on tombe partout sur des photos de la première dame nue est déjà pénible pour beaucoup de ses partisans. Qu’il ne se maîtrise toujours pas, qu’on le voie tout le temps à la télé, ça énerve aussi. Depuis plusieurs jours, la France a l’impression d’être coincée dans un ascenseur avec Sarkozy.

Le président a une tendance néfaste à confondre la vérité et sa représentation médiatique, ainsi qu’à se tromper de combat. Alain Genestar, ancien rédacteur en chef de Paris Match, a décrit dans un livre comment, en 2006, il avait perdu son poste à la suite de pressions de Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur. Il avait publié en une de sa revue une photo de Cécilia, épouse de Sarkozy à l’époque, en compagnie de son nouvel ami Richard Attias. “Tu m’as fait beaucoup de mal avec ça”, lui aurait dit Sarkozy au téléphone, comme si le cliché volé du couple était la cause de la liaison, et non sa conséquence. Ne pas publier le cliché n’y aurait rien changé. Pourtant, Genestar a perdu son emploi. Et, Richard Attias, aujourd’hui époux de Cécilia, se plaint que sa société, qui organise des galas et des sommets, ait perdu tous les marchés publics – non seulement avec Paris, mais aussi avec les Etats africains et arabes favorables à la France.

Dans le cas d’une rumeur, ce genre de vengeance est impossible. Cela n’a pas empêché Sarkozy d’essayer, d’où la pire crise de réputation de sa présidence. Ces malheurs sont personnifiés par Pierre Charon, son comparse et conseiller médiatique. Ce dernier a fait part à des journalistes de la fureur du président, le tout en termes belliqueux et cinglants, affirmant entre autres que toute l’affaire masquait un “complot international” de la finance, que la rumeur était considérée comme un “casus belli” et que l’on veillerait à ce que la peur “change de camp”. Un discours digne d’une cour de récréation, au lendemain de la diffusion d’un film sur la mafia à la télévision. Il est inquiétant de constater que l’entourage du président affirme disposer de preuves que Rachida Dati serait à l’origine de la rumeur. Citons Charon à ce sujet : “Voilà ce qui arrive quand on s’attaque à la Firme !” Charon et quelques autres, qui comme lui ne seraient rien sans Sarkozy, aiment se surnommer “la Firme”, ils ont tiré ça du roman de John Grisham [La Firme, 1991]. Puisque Charon parlait de preuve, on a pu penser que “la Firme” détenait plus que des témoignages ou que le téléphone de la politicienne, aujourd’hui députée européenne, avait été mis sur écoute. Sarkozy aurait ainsi suivi les traces de ses prédécesseurs. Cherchant à contrôler les rumeurs parisiennes sur sa fille adultérine, François Mitterrand avait fait placer sur écoute des journalistes, puis des amis au sein de son parti, puis de belles actrices, et pour finir près de la moitié de la ville. Mais il n’avait pas réussi à empêcher que circulent des rumeurs qui reflétaient la vérité.

Pendant que Paris perdait peu à peu la tête, Sarkozy est apparu sur son portail vidéo. Tout en noblesse et en distanciation, sur un plateau enneigé de Savoie où, le 8 avril, il a rendu hommage à Tom Morel, héros de la Résistance. On aurait dit une scène issue d’un rêve étrange. Dans un paysage de neige immaculée, Sarko marchait entouré de sapins, seul, détonnant avec son manteau bleu et ses chaussures de ville. De temps à autre, il haussait les épaules. “Les femmes, ça a toujours été son talon d’Achille. Mais il ne faut pas croire qu’il est fini. Il va reprendre le dessus. Même seul, parce que le spectacle doit continuer”, explique quelqu’un qui le connaît depuis plus de trente ans.

La seule chose que Sarkozy ne puisse pas faire, c’est se tenir à l’écart des médias et s’occuper de son “labyrinthe intérieur”, selon l’expression de son rival Dominique de Villepin, ce qui pourrait pourtant protéger son mandat du ridicule. Sarkozy en est convaincu, ce dont les médias ne parlent pas n’existe pas. Qu’adviendra-t-il de lui si c’est le Premier ministre que l’on voit sur tous les écrans ? Alors, il oscille devant des milliers de ­caméras entre les fantasmes de la ­toute-puissance et les angoisses de l’impuissance, il vocifère toujours plus contre les murmures dans l’opinion publique et pervertit l’Etat et les médias d’une nation pour en faire la thérapie de groupe d’un seul homme.

 

Mariage de Cécilia : Paris Match [s’auto]censure 23.03.08

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Olivier Royant craindrait-il de subir le sort de son prédécesseur, Alain Genestar ? Le directeur de la rédaction de Paris Match vient de refuser un scoop que deux de ses journalistes lui apportaient sur un plateau d’argent. Le genre de scoop qui n’aurait pas bouleversé la marche du monde, loin s’en faut. Mais qui aurait très certainement propulsé les ventes de l’hebdomadaire vers des sommets et rendu jaloux tout ce que la planète compte de journalistes « people » : suivre de l’intérieur le mariage de Cécilia Ciganer Albeniz ex-Sarkozy avec Richard Attias. La fête débute ce vendredi et se poursuivra jusqu’à dimanche, entre le Connecticut et New York.

La semaine dernière, un journaliste et un photographe de Match étaient à Dakar pour couvrir le sommet de l’Organisation de la conférence islamique. On ne sait pas si l’hebdo publiera une analyse sur la dimension politique de cet événement, qui a rassemblé 57 chefs d’Etat.

En revanche, un portrait de l’organisateur devrait paraître la semaine prochaine : Richard Attias, PDG de l’agence événementielle Publicis Live, a été croqué « in situ », en plein travail, par les deux journalistes. Il les a d’ailleurs invités à déjeuner, avec sa promise, Cécilia. Pendant le repas, le couple propose aux journalistes de suivre leurs noces de l’intérieur. Et promet qu’ils seront les seuls dans ce cas.

Contrairement à tout rédacteur en chef normalement constitué, Olivier Royant n’a pas sauté de joie quand il a appris la nouvelle. Il a même refusé la proposition. Match ne suivra pas la fête en exclusivité. Alors que des journalistes maison lui apportaient un scoop, la rédaction en chef préfère être logée à la même enseigne que le reste de la presse spécialisée dans les heurs et malheurs des « grands de ce monde », en restant à l’extérieur de la noce. Match enverra des paparazzis considérés comme les plus chers de la place parisienne. Résumons : l’hebdo aura moins bien pour plus cher.

Mais comment expliquer une décision si farfelue ? Joint par Rue89, Olivier Royant nous a renvoyé vers Laurent Valdiguié, un des rédacteurs en chef du magazine. Lequel nous a déclaré : « La chaîne de tout ce que vous dites n’est pas tout à fait vraie », tout en refusant de nous dire ce qui serait « vrai ». Selon nos informations, Royant a pourtant dû expliquer sa décision devant la rédaction.

La raison se trouve peut-être dans le funeste sort d’Alain Genestar. Alors qu’il dirigeait la rédaction de Paris Match, il avait publié un reportage montrant Richard Attias à New York en amoureuse posture avec celle qui était encore l’épouse de Nicolas Sarkozy. Paris Match appartenant à Lagardère, dont le patron Arnaud se considère comme le « frère » du mari trompé, la carrière d’Alain Genestar dans ce groupe avait fait long feu.

Trois ans plus tard, l’eau a coulé sous le pont des Soupirs, Cécilia épouse son amant, son ex-mari a déjà convolé avec une autre. Et les dirigeants de Lagardère ont retenu la leçon : plutôt que de froisser la susceptibilité du Président, mieux vaut s’autocensurer. Tant pis si ça coûte plus cher en rapportant moins, et si les lecteurs de Match, qui avaient eu droit à un reportage dithyrambique « Dans la vie de Nicolas Sarkozy », échapperont à l’intimité d’un moment si romantique.

Invités à la noce, Rachida Dati, David Martinon, Isabelle Balkany ont décliné. L’ire présidentielle, ils connaissent aussi…

Quelle sera la nouvelle vie de Cécilia désormais Attias ? Elle devrait revenir s’installer à Neuilly. Le couple met la dernière main à l’aménagement d’un hôtel particulier dans la ville où elle a habité pendant plus de 15 ans. Travaillera-t-elle aux côtés de son nouveau mari, publicitaire et organisateur d’événements internationaux comme les rencontres annuelles de Davos, en Suisse ? Attias répond ce mois ci dans le magazine L’Optimum : « Elle n’a pas été recrutée par PublicisLive », la société qu’il préside, une filiale de Publicis.

Richard, dans cette interview, fait une gentillesse à sa nouvelle moitié, qu’il a connu en tant qu’organisatrice d’un congrès de l’UMP, en 2003 : « C’est l’une des meilleures qu’il m’ai été donné de rencontrer, à la fois dans la réflexion stratégique et l’approche opérationnelle. Elle possède un don inné au-delà de sa propre expérience. Je l’encourage pour ma part à se remettre un jour aux manettes ». Si c’est pas une promesse d’embauche, ça y ressemble fort.

Source : Rue89 I Bakchich I Illustration © Goubelle

 

Arnaud Lagardère 15.05.07

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« « C’est mon frère« , assure Arnaud. C’est vrai qu’ils se rendent des services : Nicolas dénoue le dossier « héritage » d’Arnaud, qui renvoie le patron de la rédaction de « Paris Match » qui énerve Nicolas. Mais le gros morceau est à venir : Arnaud Lagardère veut vendre sa participation de 7, 5 % dans EADS. A l’Elysée de donner le feu vert.» (1)

« J’ai le choix de passer pour quelqu’un de malhonnête ou d’incompétent qui ne sait pas ce qui se passe dans ses usines. J’assume cette deuxième version. » (2) (more…)

 

Génèse d’une symbiose 08.05.07

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Huit mois avant l’élection présidentielle en France : M. Sarkozy déjà couronné par les oligarques des médias ?

Extrait des archives du Monde Diplomatique de Septembre 2006 :

Chef du principal parti de droite, l’Union pour un mouvement populaire (UMP), ministre de l’intérieur et président du conseil général du département le plus riche de France, les Hauts-de-Seine, l’homme s’est employé à construire depuis vingt ans un étonnant réseau d’influence dans les médias. Au service de ses ambitions suprêmes. Ce réseau a une nouvelle fois donné sa mesure pendant l’été 2006. Le nouveau livre de M. Sarkozy, Témoignage (Xo, Paris), paru en juillet, fut aussitôt salué par une couverture souriante du Point (la troisième en quatre mois) et, entre autres exemples, par un entretien d’une complaisance presque burlesque avec Jean-Pierre Elkabbach sur Europe 1. Pour l’intervieweur et patron de la radio privée appartenant au groupe Lagardère (qui comprend aussi Paris Match, Le Journal du dimanche, Elle…), M. Sarkozy a cette qualité remarquable qu’il refuse la « docilité ». Une vertu qu’on sait très prisée par M. Arnaud Lagardère, dont Jean-Pierre Elkabbach est aussi le conseiller : en juin 2006, l’éviction d’Alain Genestar, directeur de Paris Match, coupable d’avoir publié en couverture une photo de l’épouse du président de l’UMP avec son compagnon de l’époque, démontra les limites de l’indocilité permise aux médias du groupe en question. Un patron de presse limogé pour complaire à un ministre et chef de parti ? Cela faisait longtemps qu’on n’avait pas connu pareille marque d’allégeance journalistique au pouvoir politique… […]

La construction d’un tel réseau n’est nullement le fruit du hasard. En 1983, lorsqu’il conquiert, à 28 ans, la mairie de Neuilly, M. Sarkozy s’attelle très vite à bâtir un cercle de relations susceptibles de favoriser son ascension politique. Sa ville, une des plus prospères de France, compte deux mille quatre cents entreprises, donc de nombreux patrons qui s’intéressent à lui en voisins ou en simples administrés, à titre personnel ou professionnel. Dès 1985, le maire crée le club Neuilly Communication, lequel compte parmi ses membres M. Gérald de Roquemaurel, président-directeur général d’Hachette Filipacchi Médias, M. Nicolas de Tavernost, président de M6, ou encore M. Arnaud de Puyfontaine, patron de Mondadori France (ex-Emap France, troisième éditeur de magazines). M. Sarkozy veille également à s’entourer de publicitaires, comme MM. Thierry Saussez, président d’Image et stratégie, Philippe Gaumont (FCB), puis Jean-Michel Goudard (le « G » d’Euro RSCG). Il fréquente enfin les grands annonceurs Philippe Charriez (Procter & Gamble) et Lindsay Owen-Jones (L’Oréal).

En juillet 1994, l’actuel président de l’UMP devient simultanément ministre de la communication et ministre du budget du gouvernement de M. Edouard Balladur, ce qui lui permit d’être à la fois le décideur politique et le pourvoyeur de fonds publics des grands groupes de médias… Mais c’est surtout sa position de porte-parole du gouvernement, puis du candidat Balladur, entre 1993 et 1995, qui l’amène à rencontrer les hommes d’influence que sont Alain Minc – lequel le conseillera dix ans plus tard à l’occasion du référendum européen – et Jean-Marie Colombani, en train de consolider leur pouvoir au Monde. M. Sarkozy s’emploie à orchestrer l’engouement médiatique en faveur de M. Balladur, dont M. Minc est un des partisans déclarés, et à présenter son élection comme acquise. Il bénéficie à cette fin de l’appui du sondeur Jérôme Jaffré, alors directeur général de la Sofres. Le 22 mars 1995, Le Monde titre en « une » : « Mr. et Mme Chirac ont tiré profit d’une vente de terrains au Port de Paris ». L’information émane de la direction du budget chapeautée par… M. Sarkozy.

Déjà en 1995, M. Sarkozy a choisi le mauvais camp. Qu’importe, il profite de son ascension-éclair pour imposer son style et son image. En mai 1993, une spectaculaire prise d’otages dans une maternelle de Neuilly le fait connaître des téléspectateurs. « Il était toujours devant les caméras, sans parler, rappelle Jean-Pierre About, rédacteur en chef au service enquête de TF1. Mais le lendemain, lorsque HB [Human Bomb, nom donné au preneur d’otages] a pris une balle, il avait disparu du dispositif. Un coup de maître, puisqu’il n’est pas lié à la polémique sur l’opportunité de tuer le ravisseur qui a suivi (1). » Cette technique dite du « mouvement permanent », qui consiste à se saisir de l’actualité immédiate pour apparaître à son avantage dans les médias, puis à foncer sur un autre événement, constitue la marque de fabrique de M. Sarkozy.

« Je sais ce qui se passe dans vos rédactions »

En 2002, après la campagne présidentielle, un premier passage au ministère de l’intérieur lui permet de systématiser cette méthode de communication. TF1, dont les journaux télévisés mettent en scène un climat d’insécurité, se fait le relais zélé de la riposte ministérielle. Le 22 mai 2002, une intervention à Strasbourg du groupe d’intervention régional, à l’occasion de laquelle l’homme politique se fait omniprésent, donne le ton. TF1 évoque alors la saisie d’« armes de guerre » : deux pistolets, quatre caméscope, trois ordinateurs et deux appareils photo numériques (2)… Très vite, le ministre devient l’unique émetteur de la parole policière. En novembre 2005, les émeutes dans les banlieues illustrent ce basculement. Une cellule de communication est installée Place Beauvau et, dorénavant, l’information officielle passe par le prisme du ministre de l’intérieur. Lequel – « Kärcher », « racaille » – aime jouer les pompiers pyromanes.

Dépendants de sa parole, les médias en sont aussi les dépositaires. A l’évidence, M. Sarkozy a une faconde et un style imagé qui leur plaisent. « C’est le nouveau présentateur du JT de 20 heures », ironise M. François Hollande, premier secrétaire du Parti socialiste, en guise de décompte des apparitions du ministre dans les journaux télévisés. Aucun homme politique n’a été, comme lui, trois fois l’invité de l’émission « 100 minutes pour convaincre » de France 2. Chaque fois, l’audience est au rendez-vous (entre 4 et 6 millions de téléspectateurs).

Son adresse oratoire doit beaucoup aux « ficelles » du métier d’avocat : recours emphatique aux formules interrogatives et aux anaphores (« Parce que vous croyez que… »), effets de sidération par les images (« On ne peut pas violer impunément une adolescente dans une cave »), posture du « parler vrai » et populaire (« Moi, j’essaye d’être compris des gens »)… La séduction joue auprès des journalistes. « Il a une manière de poser les questions qui fait qu’on est toujours d’accord avec la réponse. On fait un peu office de sparring partner (…), avoue Thomas Lebègue, journaliste à Libération. Il voit comment les arguments passent auprès des journalistes avant de les diffuser à grande échelle (3). » Fût-il ministre de l’intérieur, un poste qui ne garantit pas d’ordinaire une grande popularité chez les journalistes, un homme qui montre qu’il adore les médias et qui se prête à leur jeu de l’image ne saurait être mauvais…

Cette idylle s’exprime en chiffres : depuis son retour Place Beauvau, en mai 2005, M. Sarkozy a eu droit à une moyenne mensuelle de 411 articles, contre 220 pour M. Dominique de Villepin lorsqu’il exerçait les mêmes fonctions (4). L’homme a compris comment amadouer ce que la presse est devenue. Ministre du budget ou des finances, il s’est gardé de toucher à l’abattement fiscal contesté des journalistes (7 650 euros par an déductibles du revenu imposable). Simultanément, il a pris des positions très libérales sur la défiscalisation des entreprises, l’impôt sur la fortune ou les droits de succession. Elles ne peuvent que satisfaire ces magnats-héritiers que sont MM. Lagardère, Bouygues, Dassault, Edouard de Rothschild, etc. (5).

« Un journaliste qui me critique est un journaliste qui ne me connaît pas », a coutume de dire M. Sarkozy. N’est-il pas d’ailleurs une sorte de confrère, lui qui rêva un temps de devenir présentateur du « 20 heures » ? En 1995, quand il publie sous pseudonyme une série d’articles intitulée « Lettres de mon château », dans Les Echos, il montre qu’il s’intéresse autant à la vie des médias qu’à la politique. Du coup, l’homme a l’habitude de valoriser les journalistes, de s’intéresser aux nouvelles recrues. De les tutoyer aussi, comme Laurent Joffrin, directeur de la rédaction du Nouvel Observateur, ou Jean-Marie Colombani. Dans ce dernier cas, Edwy Plenel s’en déclara troublé… mais en mars 2006, six mois après avoir quitté la rédaction du Monde. En 2003, au moment de la sortie du livre de Pierre Péan et de Philippe Cohen consacré au quotidien du soir, le même avait néanmoins sollicité le conseil du ministre dans son bureau de la place Beauvau (6).

Sarkozy sait également se rendre disponible auprès de journalistes moins chevronnés. Il impose d’ailleurs à son conseiller à la presse, M. Franck Louvrier, de ne jamais laisser un appel sans réponse. Mais gare à ceux qui pourraient être tentés de faire dissidence. « Je sais tout ce qui se passe dans vos rédactions », lance-t-il un jour de janvier 1995 à des reporters lors d’un déplacement dans le Nord (7). De fait, il peut compter sur Jean-Pierre Elkabbach pour être consulté quand Europe 1 envisage de recruter un journaliste chargé de suivre l’UMP (8). Ou sur M. Bouygues : c’est ainsi M. Sarkozy qui, avant un voyage délicat aux Antilles, annonce – y compris à la rédaction de TF1 – qu’un journaliste noir, Harry Roselmack, prendra les rênes de la présentation du « 20 heures » pendant l’été 2006.

Le président de l’UMP dispose à présent des cartes lui permettant d’espérer l’épilogue présidentiel de cette puissante orchestration médiatique. Peu importe qu’il se trompe ou qu’il se contredise dès lors que nul ou presque dans la presse ne le souligne. Le 25 janvier 2006, il estime, par exemple, que le contrat première embauche (CPE) constitue « une très bonne mesure pour l’emploi de jeunes ». Six mois plus tard, il se ravise : « J’étais persuadé que le CPE serait vécu comme injuste pour la raison simple qu’il l’était. » En juillet dernier, il approuve chaudement les bombardements et les préparatifs d’invasion du Liban sud : « Israël se défend » (Europe 1, 18 juillet). Plus tard, il se déclarera néanmoins d’accord avec le président de la République, assurément plus réservé sur le sujet.

De même qu’il a séduit nombre d’acteurs, de chanteurs et de stars du show-business (Jean Reno, Christian Clavier, Johnny Hallyday, etc.), M. Sarkozy parvient à être apprécié de journalistes réputés de gauche. M. Saussez s’en félicite : « Il a une bonne image chez des gens qui n’ont pas ses opinions : c’est très nouveau (9). » Naviguant entre la clémence relative, avec l’abrogation de la double peine, et la répression, avec la nouvelle loi sur l’immigration, le président de l’UMP offre à chacun motif à se laisser séduire. « Il considère que son rôle est de convaincre. Et d’abord les journalistes », concède son fidèle lieutenant, le ministre délégué aux collectivités territoriales Brice Hortefeux (10).

Si ces derniers constituent bien la cible de M. Sarkozy, c’est qu’ils vont ensuite relayer une image susceptible de prospérer dans des cercles influents, lesquels eux-mêmes influenceront d’autres cercles concentriques dans leur entreprise, leur club de sport, leur voisinage… sans être nécessairement un vecteur d’opinion direct, les médias comptent auprès de ceux qui pensent que les médias influencent le public.

En tout cas, M. Sarkozy a le temps et l’occasion de s’exprimer. Le matin sur Europe 1, Jean-Pierre Elkabbach lui octroie couramment vingt minutes supplémentaires d’entretien ; LCI, filiale de TF1, retransmet en direct ses vœux à la presse ; il fait la couverture de TV Magazine, ce supplément du Figaro diffusé auprès de cinq millions de lecteurs potentiels, à l’occasion d’un entretien sur Canal+ avec son ami Michel Denisot, déjà coauteur d’un livre avec le ministre. Quant à sa relation avec son épouse, Cécilia, elle fait le bonheur de la presse « people » (Gala, Paris Match…) chaque fois qu’elle sert les intérêts du présidentiable, mais provoque désormais l’autocensure, voire la censure, sitôt qu’elle cesse d’être à son avantage. Ainsi, lorsqu’une journaliste de Gala, Valérie Domain, décida en 2005 d’écrire un livre qui n’agréait pas à M. Sarkozy, Entre le cœur et la raison, l’éditeur – M. Vincent Barbare – fut convoqué Place Beauvau.

Une inhabituelle passion

La volonté de contrôler les médias peut être assez naturelle chez un responsable politique. Plus inhabituelle est la passion d’une communauté de dirigeants de médias et de journalistes (Denis Jeambar, qui vient de quitter la direction de L’Express pour celle des éditions du Seuil, et Franz-Olivier Giesbert, président-directeur général du Point, par exemple) à lui servir de relais. Encouragés par l’aura dont bénéficie le présidentiable auprès de leur propriétaire ou de leurs annonceurs, ils surestiment sans doute la séduction qu’il exerce et ils occultent trop volontiers l’échec de sa politique, par exemple sur le terrain des violences aux personnes (elles ont officiellement augmenté de 12 % entre mai 2002 et avril 2006). Inversement, quand les mêmes faiseurs d’opinion soulignent la médiocrité du bilan de M. de Villepin, ils font mine d’oublier que M. Sarkozy est un des principaux ministres de son gouvernement. Et que la querelle entre les deux hommes constitue aussi un moyen artificiel de permettre à la droite de s’offrir une alternative à elle-même.

En rebondissant sans cesse sur l’actualité, M. Sarkozy teste des idées qu’il calibre empiriquement en fonction de l’écho médiatique qu’elles reçoivent. Son objectif est de construire ainsi une légitimité cathodique et de demeurer au zénith des instituts de sondage avec une autorité conférée par les « unes » plutôt que par les urnes. Sur ce point précis, certains candidats socialistes, dont Mme Ségolène Royal, ne se comportent pas toujours différemment. Pour expliquer qu’elle ait, à son tour, décidé de s’installer sous les feux de la rampe, un conseiller de la présidente du conseil régional de Poitou-Charentes admet : « La présence médiatique donne l’apparence de l’action. On a décidé de faire comme Nicolas Sarkozy, on prend toutes les occasions. On cannibalise tout (11). »

Dans le cas du ministre de l’intérieur, tout le monde – ou presque – y trouve son compte, tant que le « produit » se vend : « C’est le seul homme politique dont les régies publicitaires sont contentes quand il fait la couverture », avance M. Jérôme Peyrat, directeur général de l’UMP (12). Ce genre de considération n’est pas sans importance dans la presse, compte tenu du déclin de sa diffusion. Quant aux Français, ils auront bientôt à se prononcer sur le profit qu’ils retirent de l’exposition avantageuse d’un homme entièrement tourné vers la satisfaction de son ambition et de son clan.

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les photos déplaisent : Genestar congédié

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En août 2005, Paris Match publie une photo montrant l’épouse du ministre de l’Intérieur, Cécilia Sarkozy, en compagnie de son amant, le président de Publicis Events Worldwide, Richard Attias. Le ministre de l’Intérieur avait alors demandé à son ami et directeur du journal, Arnaud Lagardère, le licenciement du directeur de la publication Alain Genestar, ce qui sera fait en juin 2006 (Le Monde, 17 novembre 2006). Peu après son renvoi, l’émission I>Match, présentée par Alain Genestar sur I>Télé fut également supprimée. La raison invoquée : manque de budget.

 

RSF : France – Rapport annuel 2007 01.01.07

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Le respect des croyance religieuses, la protection du secret des sources des journalistes et la défense de la vie privée ont été au cœur des débats sur la liberté de la presse, en France, en 2006.

Le 1er février 2006, France Soir a publié douze caricatures du prophète Mahomet précédemment parues dans un journal danois. Suite à cette parution, Jacques Lefranc, président et directeur de la publication, a été limogé par le propriétaire franco-égyptien, Raymond Lakah. Le 6 février, le quotidien a été l’objet d’une alerte à la bombe. La veille, des inconnus avaient déposé un extincteur devant les locaux de Charlie Hebdo, faisant peser la menace d’une explosion. Le 7 février, des organisations musulmanes, dont le Conseil français du culte musulman (CFCM), qui avaient demandé la saisie du numéro de Charlie Hebdo entièrement consacré aux caricatures, ont été déboutées. Le 10 février, le CFCM a engagé une action en justice contre les journaux français ayant reproduit les caricatures du prophète Mahomet.

Le 19 septembre, la parution dans le quotidien Le Figaro d’une tribune de Robert Redeker, professeur de philosophie, intitulée “Face aux intimidations islamistes, que doit faire le monde libre ?”, a entraîné l’interdiction de ce numéro en Egypte et en Tunisie. Robert Redeker a été placé sous protection de la gendarmerie après avoir reçu des menaces de mort et a dû suspendre ses activités d’enseignant.

Par ailleurs, les lois mémorielles ont contribué, elles aussi, à la substitution de l’idéologie au débat, comme l’a illustré l’adoption par l’Assemblée nationale du projet de loi socialiste pénalisant la négation du génocide arménien et prévoyant des sanctions de cinq ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. Ce texte participe à la constitution d’une vérité historique officielle qui s’impose au débat et le clôt, ce qui est contraire à l’idée même de liberté d’expression.

Comme l’année précédente, 2006 s’est caractérisée par la multiplication des poursuites à l’encontre des journalistes dans le but de leur faire révéler leurs sources. Le ministre de la Justice, Pascal Clément, s’est pourtant engagé lors de ses vœux à la presse à inscrire le principe de la protection du secret des sources dans la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Mais ceci n’a pas empêché les mises en examen de six journalistes pour “recel de violation du secret de l’instruction” (L’Equipe), “recel de violation du secret professionnel” (Midi Libre) et “recel d‘abus de confiance” (dans le cadre de l’affaire Clearstream, un scandale politico-financier impliquant de hauts responsables de l’Etat). La relaxe prononcée le 14 novembre par le tribunal correctionnel de Paris à l’égard du journaliste Claude Ardid est venue tempérer cette tendance. Dans son jugement, le tribunal a estimé que le journaliste a “pour seule mission, y compris dans les affaires judiciaires en cours, de contribuer à l’information du public. Il ne saurait être inquiété qu’en raison des abus de la liberté d’expression (…) dont il se rendrait coupable (…) mais pas à raison des éventuelles violations de ce secret qui ont contribué à l’information du public.”

Les limites que les autorités cherchent à imposer au travail journalistique prennent parfois l’apparence de la défense de la vie privée des personnalités publiques. Le départ forcé d’Alain Genestar de la direction de la rédaction de Paris Match, en juin 2006, a donné lieu à de vives protestations. Le directeur du magazine a affirmé qu’il avait été sanctionné pour avoir publié en couverture du numéro du 25 août 2005 la photo de Cécilia Sarkozy, l’épouse du ministre de l’Intérieur, à New York et de son compagnon de l’époque. La direction du groupe, propriété d’Arnaud Lagardère, ami de Nicolas Sarkozy, elle, a évoqué un “différend déontologique” pour expliquer ce limogeage.

Enfin, la situation en Nouvelle-Calédonie demeure inquiétante. Les médias y sont souvent pris en otages dans des conflits locaux. La situation à RFO est revenue à la normale en novembre, après huit mois de blocage intermittent. Début septembre, l’imprimerie de l’hebdomadaire Les Infos a été empêchée de fonctionner, puis brièvement en novembre celle du quotidien les Nouvelles calédoniennes. A plusieurs reprises, des journalistes ont été exclus de conférences de presse ou empêchés de filmer.

Source : RSF France – Rapport annuel 2007