Au pays des Gaulois, on a évidemment une potion magique. Laquelle ? Un rapport qui compile 136 propositions : le très prometteur Plan Attali « pour la libération de la croissance française » :
« Notre calcul nous amène à penser que si l’ensemble de ces réformes est mis en œuvre, le taux de croissance pourrait être au moins d’un point supérieur à la mi 2012, le taux de chômage pourrait être ramené à 5%, 2 millions d’emplois pourraient être construits, le chômage des jeunes pourrait être divisé par 3, le nombre de Français sous le seuil de pauvreté pourrait être ramené à 3 millions. Nous avons calculé que l’espérance de vie entre les plus favorisés et les plus défavorisés pourrait être réduite d’un an, que plus de 10.000 entreprises pourraient être crées dans les banlieues, que 100% des Français auraient accès à l’Adsl, et que 75% des Français seraient devenus utilisateurs réguliers d’internet, que la dette publique serait réduite à 55 %, et que la fréquentation touristique pourrait dépasser les 90 millions. »
Pensé et vendu comme un tout indivisible par son « inventeur » (« Notre travail s’écroule comme un château de carte si on ne prend que certaines mesures et pas d’autres »), ce plan devait être accepté dans son intégralité par Nicolas Sarkozy : « Tout ce que vous proposerez je le ferai », avait promis le président.
Les 20 décisions qualifiées de « fondamentales » :
1ère décision : « Se donner les moyens pour que tout élève maîtrise avant la fin de la sixième, le français, la lecture, l’écriture, le calcul, l’anglais, le travail de groupe et l’informatique. » Cela passe par une prise en charge plus précoce des enfants, une formation plus poussée (de 120 à 240 heures de cours) des assistantes maternelles et des éducatrices de crèche, une forte implication des enseignants…
2e décision : « Constituer dix grands pôles d’enseignement supérieur et de recherche autour de dix campus, réels et virtuels, fixant les conditions d’excellence de l’ensemble du système de formation. » Le coût des dix campus s’élèverait à 10 milliards d’euros, à engager sur sept ans, le financement privé pouvant atteindre 80 %.
3e décision : « Redonner à la France tous les moyens (dont ceux de la recherche) pour prendre une place de premier rang dans les secteurs d’avenir : numérique, santé, écologie, tourisme, solaire, pile à combustible, biotechnologie, nanotechnologie, neurosciences. » Les crédits de recherche devront être concentrés sur les meilleurs laboratoires et les meilleurs programmes.
4e décision : « Mettre en chantier dix écopolis, villes et quartiers d’au moins 50 000 habitants, intégrant technologies vertes et de communication. » Le modèle est inspiré d’un « écoquartier » comme BedZed dans la banlieue de Londres. Un appel à candidature des villes intéressées devrait être lancé en 2008.
5e décision : « Entreprendre dès maintenant la mise en place du très haut débit pour tous, à domicile, dans l’espace numérique de travail et dans l’administration. » Le déploiement d’une nouvelle génération d’infrastructures fondée sur la fibre optique doit devenir l’un des grands chantiers technologiques des prochaines années.
6e décision : « Mettre en place les infrastructures nécessaires (ports, aéroports, place financière) et accroître l’offre et la qualité de logement social. » Les subventions de l’État devront être concentrées sur les ports de Marseille et du Havre. Le transport aérien low cost doit être encouragé, notamment avec l’ouverture d’un terminal low cost à Roissy. Le monde des HLM doit réviser ses méthodes de gestion.
7e décision : « Réduire les délais de paiement des PME par l’État et par les grandes entreprises à un mois à compter de la livraison et à dix jours pour la TVA, et instituer un statut fiscal simplifié pour les entreprises qui réalisent moins de 50 000 euros de chiffre d’affaires par an. » Ce dernier régime pourrait consister en un prélèvement libératoire de 10 % se substituant à tous les impôts indirects.
8e décision : « Créer par le redéploiement une agence guidant dans un premier temps les TPE/PME de moins de 20 salariés dans toutes leurs démarches administratives et leur adressant des réponses engageant l’ensemble des administrations. » Dans cette optique le rôle des administrations fiscales et sociales est primordial.
9e décision : « Renvoyer l’essentiel des décisions sociales à la négociation en modernisant les règles de représentativité et de financement des organisations syndicales et patronales. » Cela passe par une modernisation du code du travail et la prise en compte des élections pour la représentativité des syndicats.
10e décision : « Mobiliser tous les acteurs de l’emploi des jeunes et imposer à toutes les entreprises et collectivités publiques de présenter chaque année un bilan de la diversité par âge, par sexe et par origine. » Un système de bonus/malus pourrait être mis en place afin de moduler les cotisations sociales des entreprises embauchant des jeunes.
11e décision : « Réduire le coût du travail pour toutes les entreprises en transférant une partie des cotisations sociales vers la contribution sociale généralisée (CSG) et la TVA. » L’objectif est de faire basculer vers l’impôt 3 points de cotisations sociales salariales.
12e décision : « Laisser à tout salarié le libre choix de poursuivre une activité sans aucune limite d’âge (une fois acquise la durée minimale de cotisation) en bénéficiant, à compter de 65 ans, d’une augmentation de sa retraite, en levant tous les obstacles aux cumuls emploi-retraite et supprimant tous les dispositifs de préretraite. » Chacun aurait le choix du moment de son départ à la retraite. Les limitations au cumul emploi-retraite s’appliqueraient aux futurs retraités s’ils changent d’entreprise ou créent leur propre affaire afin de limiter les abus.
13e décision : « Aider les commerçants et les fournisseurs indépendants à prendre part efficacement à la concurrence tout en restaurant complètement la liberté des prix et de l’installation de tous les acteurs de la distribution, de l’hôtellerie et du cinéma. » Cela passe par la remise en cause des lois Galland et Royer-Raffarin, susceptible de faire gagner un point de croissance.
14e décision : « Ouvrir très largement les professions réglementées à la concurrence sans nuire à la qualité des services rendus. » Les principales professions concernées sont les coiffeurs, les chauffeurs de taxi, les vétérinaires, les pharmaciens et diverses professions juridiques (huissiers, greffiers, notaires, avoués…)
15e décision : « Encourager la mobilité géographique (par la création d’une bourse Internet du logement social) et la mobilité internationale (notamment par une procédure plus souple de délivrance de visas aux étudiants, artistes travailleurs, chercheurs et scientifiques en particulier dans les secteurs en tension). » L’immigration peut permettre de remédier à des pénuries de main-d’oeuvre. Il va manquer des informaticiens et des cadres technico-commerciaux.
16e décision : « Considérer la formation de tous les chercheurs d’emploi comme une activité nécessitant rémunération sous forme d’un contrat d’évolution. » En signant avec l’ANPE-Unedic un « contrat de travail » le chômeur s’engage à acquérir une formation et une qualification. Grâce à cette mesure, 1 500 000 chômeurs pourraient disparaître.
17e décision : « Sécuriser la rupture amiable du contrat de travail. » La rupture du contrat de travail ne doit être que l’ultime recours.
18e décision : « Créer des agences pour les principaux services au public et faire évaluer tout service public (école, université, hôpital, administration) par des organismes indépendants. » Des agences pourraient ainsi être créées pour la gestion de l’impôt, la tenue de la comptabilité publique, les services sociaux…
19e décision : « Renforcer les régions et les intercommunalités en faisant progressivement disparaître en 10 ans l’échelon départemental« . Il s’agit de répartir clairement les compétences entre collectivités et d’accorder à chaque niveau de collectivité des ressources précises pour réduire les coûts de l’administration.
20e décision : « Réduire dès 2008 la part des dépenses publiques dans le PIB. Cette réduction devra atteindre 1 % du PIB à partir de 2009, soit 20 milliards d’euros de réduction par rapport à la tendance par an pendant 5 ans. » Cette ambition n’est pas irréaliste : la Finlande et la Suède ont diminué la part de leurs dépenses publiques dans le PIB, en cinq ans, de respectivement 11,3 et 12,2 points de PIB.
Réactions : [Source : Le Monde]
Liem Hoang-Ngoc, maître de conférences à l’université Paris-I, a décrit le rapport Attali comme étant une « compilation d’idées dans l’air du temps » avec un diagnostic « archaïque », « d’une France datant du général de Gaulle ». Pour lui, la vraie cause du manque de croissance n’est pas « la panne de la consommation populaire » avancée par le rapport mais « la panne d’investissements » des entreprises, alors qu’il y a « une forte épargne boursière ». Au lieu d’avoir « un discours anxiogène sur la dette, le gouvernement devrait mobiliser cette épargne », soutient-il.
Guillaume Duval, rédacteur en chef de la revue Alternatives économiques, préconise, lui, d’« investir dans le high tech » plutôt que de « créer des emplois de service à bas coût » comme « on l’a fait depuis vingt-cinq ans ».
Philippe Moati, directeur au Credoc (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie), s’est élevé contre les « imprécisions du rapport », qui « nous sert des vieilles lunes au lieu de nouveaux outils de régulation ».
Jean-Marie Monnier, professeur à Paris-I, a évoqué quant à lui des « propositions centralistes, archaïques et inefficaces au plan économique, et injustes socialement », relevant« le transfert de charges fiscales et sociales des entreprises sur les ménages ».